Partir ? Où aller ?

1042 h9Cet après-midi, après une sieste, j’ai continué à lire Henry Miller ; je n’ai même pas essayé de penser à travailler. Excellents passages dans les lettres de Miller sur la création, son séjour en Grèce au début de la guerre, où il passe quatre mois de vraies vacances, en vivant près de la nature et de la mer ; reposer le corps en reposant l’esprit : ce fut pour lui comme une renaissance. C’est peut-être ce dont j’aurais besoin : me libérer de la vie de contrainte que je m’impose depuis quelques années. Il faut vraiment que je laisse tout ça ici, que je ne parte qu’avec mes yeux pour regarder et me laisse mener par la vie. Me mêler aux gens plutôt que m’enfermer à étudier, lire ou travailler dans une chambre d’hôtel, comme si j’étais ici. Est-ce que j’y arriverais ? Faut-il quand même emporter mon petit livre de chinois, ma boîte d’aquarelles, un livre ou deux ? Bien y réfléchir ! Plutôt partir très léger… seulement un petit carnet, pour prendre des notes ! Et encore ?

Faire le bilan : à quoi sert ce que je fais ? La peinture, la calligraphie, le chinois, la lecture, etc., bien analyser ça ! J’ai surtout l’impression qu’il me faut un environnement plus stimulant, plus fort que Tahiti, où j’ai souvent l’impression que je me vide, sans possibilités de me recharger à des sources d’énergie extérieures. Aussi, quand je traverse des périodes difficiles comme en ce moment, je ne peux qu’attendre que ça passe ; je n’ai pas beaucoup de possibilités de distractions, ni de changer d’air pour échapper à mes angoisses. Hier, je songeais de nouveau à quitter Tahiti, mais ne suis pas très convaincu par l’Australie. Je pense plutôt à l’Asie, peut-être la Thaïlande : je revois les couchers de soleil sur le fleuve, à Bangkok. Je feuilletais hier un livre de langue sur le thaï, qui n’a pas l’air facile, c’est une langue de la même famille que le chinois, avec une prononciation tonale et le même genre de grammaire, mais une écriture tout à fait différente. En voyant arriver ce bateau équatorien, je repensais à l’Amérique du Sud, où je referais bien un séjour, histoire de continuer mon apprentissage de l’espagnol. Ah là là ! Vivrai-je toujours dans cette incertitude : que faire, comment vivre, où aller ? Si je pensais un peu moins au futur et vivais davantage dans le présent, mais c’est sans doute parce que ce présent ne me satisfait pas que je le remets en cause et pense au changement !

En 1938, Miller fut très angoissé par les événements annonciateurs de la guerre, et avait quitté Paris pour se réfugier à Bordeaux, où il s’était senti très mal. En 1939, il quitta alors définitivement Paris pour la Grèce, en passant par la Dordogne et la Côte d’Azur, trois endroits qui lui ont beaucoup plu. Finalement, il ne faut partir que quand c’est le moment de partir, alors les choses se feront naturellement, et l’endroit où aller se révèlera de lui-même, sans que j’aie besoin de chercher. Attendons donc ce moment-là et, entre temps, voyageons léger ! Au gré de mon inspiration, et sans me soucier du lendemain !

 

Une situation qui ressemblait beaucoup, il y a 32 ans, à celle d’aujourd’hui, où je m‘apprête à quitter la Provence, vers un autre inconnu …

 

Texte : Journal, 8 novembre 1987, Faaa (Tahiti)
Peinture : 1042 Peinture de guérison– 32 x 24 cm – Acrylique sur papier


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